Un sujet actuel : Les investissements chinois en allemagne a travers le cas kuka

L’« affaire Kuka » a fait les gros titres de la presse allemande en juin 2016 et a déclenché un important débat qui n’en finit pas de nourrir les colonnes des journaux allemands et dans une moindre mesure français et qui pourrait se résumer ainsi : face au risque potentiel de transfert de technologie stratégique, le gouvernement allemand peutil ou doitil réagir à l’intérêt croissant d’entreprises chinoises pour les petites et moyennes entreprises allemandes ?

La prise de contrôle de l’entreprise allemande Kuka par le groupe Chinois Midea a fortement marqué les esprits en Allemagne. Présentée comme « portedrapeaux » de l’industrie allemande et comme une des perles de la technologie allemande, à la pointe de la transition vers la prochaine révolution industrielle appelée Internet 4.0, l’entreprise de plus de 12.000 salariés produit des robots industriels orange connectés et capables d’interagir entre eux et avec l’homme. Ces robots articulés avaient fait tout particulièrement la fierté de la chancelière Angela Merkel lors d’une présentation dans le cadre d’un Salon des technologies industrielles du monde à Hanovre en avril 2016 à laquelle avait assisté Barack Obama. Il s’agit de la plus grosse prise de contrôle d’une entreprise allemande par un groupe chinois. Dans l’offre dévoilée en mai dernier, c’est la question de stratégie industrielle qui s’est alors posée et qui a culminé avec une intervention du ministre allemand de l’économie Sigmar Gabriel déclarant qu’il apprécierait une offre alternative allemande ou européenne. La veille, c’étaient les propos du commissaire européen au numérique Güther Oettinger sur ses réserves face à l’offre de Midea qui avaient semé l’embarras à Bruxelles. Ces interventions ont particulièrement attiré l’attention dans un pays à tradition de forte neutralité du milieu politique envers le secteur privé.

Le cas Kuka fait suite à une série de prises de contrôle de PME allemandes dans le secteur de la machine-outil comme le fabriquant de pompes à béton Putzmeister en 2012, premier achat emblématique. Plus récemment les entreprises Kraussmaffei, Manz ou Aixtron ont également été la cible d’investisseurs chinois. 2016 est marqué par une très forte croissance des investissements chinois à l’étranger. En volume d’investissement le niveau de 2015 au niveau mondial (107 milliards de dollars pour 610 opérations) a déjà été dépassé au 11 mai 2016 (111 milliards de dollars). Au premier semestre les investisseurs chinois ont pris des participations dans 164 entreprises européennes dont 45 dans le secteur industriel, ce qui correspond au nombre total pour 2014 (seulement 19 opérations de moins qu’en 2015). Le plus gros rachat en 2016 concerne le groupe suisse Syngenta (44,2 Mrd. USD). L’Allemagne est le pays le plus attractif d’Europe avec 37 opérations recensées (23 pour la France, 20 pour le Royaume-Uni) presque autant que sur l’ensemble de 2015 (39 opérations) pour un volume d’investissement de 10,8 milliards de dollars, vingt fois plus élevé qu’en 2015. Cela fait de la Chine le 3ème pays d’origine d’investissements étrangers en Allemagne après les Etats-Unis et la Suisse au premier semestre 2016 (en nombre d’opérations). Après la Suisse, les Etats-Unis et Hongkong, l’Allemagne est au niveau mondial la quatrième terre d’accueil (la France est en 5ème position). Cet intérêt accru pour les investissements à l´étranger semble être motivé par un besoin des entreprises chinoises de répondre à un ralentissement de la croissance intérieure chinoise qui s’est stabilisée autour de 6,5%, après des années de croissance supérieure à 10%.

Le journal allemand Handelsblatt rapportait en juin dernier les intentions avouées au ministère de l’économie allemand de réfléchir à un durcissement de la réglementation du commerce extérieur (Außenwirtschaftsgesetz – AWG). Selon les sources du journal la situation et son évolution sont observées de près au niveau gouvernemental et des réflexions sont portées sur des mesures adaptées. Le gouvernement allemand possède depuis 2009 un droit de veto dans le cas d’un rachat de plus de 25% des parts d’une entreprise allemande par un investisseur non européen, applicable seulement dans des cas d’infrastructure stratégique ou liés à la sécurité publique. Dans le cas Kuka les autorités allemandes ont admis en août dans un communiqué qu‘aucun obstacle juridique ne pouvait empêcher l‘acquisition. Les discussions en cours porteraient sur une extension des possibilités d’intervention du gouvernement dans les cas où les purs motifs économiques de marché et de concurrence ne sont pas les seuls motifs d’un éventuel rachat ou dans le cas où l’investisseur reçoit une aide directe ou indirecte du gouvernement chinois.

Les craintes soulevées à l’annonce de l’offre de Midea sur Kuka en mai dernier et évoquées globalement lorsqu’il s’agit de l’intérêt accru des investisseurs Chinois en Europe en termes d’emplois et de perte de technologie sont pour l’instant toutefois infondées. Jusqu’à présent, selon le Handelsblatt il n’y a pas eu de délocalisation complète de production vers la Chine suite à une opération de rachat en Europe par un groupe chinois. Dans le cadre de son rachat par Midea l’entreprise Kuka a reçu d’importantes garanties en terme d’emplois, de maintien en Bourse et de protection de la propriété intellectuelle. De plus, l’ampleur du phénomène reste à relativiser. Si la tendance actuelle pourrait devenir structurelle, la Chine reste encore un acteur mineur dans les opérations de rachat d’entreprises allemandes en comparaison avec les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.

Après le rachat largement médiatisé de Kuka, les tentatives de reprises des entreprises Aixtron (fabricant de machines-outils) et Osram ont fait récemment les titres de la presse économique. Dans le cas d´Aixtron, fabricant de machines-outils, le gouvernement allemand a bloqué en octobre la procédure de rachat en annulant le « certificat d‘absence de risque » qui avait été pourtant délivré à la miseptembre. Dans le cas de la vente d’une filiale du groupe d’éclairage Osram à un consortium chinois le gouvernement examine une demande de certification d’autorisation d’achat.

Ces évolutions récentes ont fait du débat sur la protection du « Made in Germany » un sujet central en Allemagne, avant la visite du ministre de l’économie allemand Sigmar Gabriel en Chine du 1er au 5 novembre. Dans une tribune publiée par le journal « Die Welt » le ministre plaide pour un renforcement de la législation européenne et allemande afin de protéger les technologies clés. Il insiste sur le manque de réciprocité dans les conditions de rachat dans le cadre d’opérations de croissance externe et souhaite que les entreprises allemandes et chinoises soient sur un même « terrain de jeu » Un rachat comparable à celui de Kuka serait impossible en Chine de la part d’un groupe allemand. Le président de l’association de l’industrie allemande (BDI-Bundesverband der Deutschen Industrie) Ulrich Grillo regrette également ces distorsions et les barrières auxquelles sont confrontées les entreprises allemandes en Chine mais salue toutefois l’intérêt des investisseurs chinois pour l’Allemagne et refuse un éventuel durcissement de la loi. Selon lui, ce n’est pas à l’Europe de se refermer mais à la Chine de s’ouvrir.

Auteur

Elodie Villeneuve

Sources

  • « BDI-Chef lehnt Abschottung gegen China ab », Tagesspiegel, 06.11.16
  • « Gabriel will Schlüsseltechnologien vor Übernahmen schützen », Handelsblatt, 29.10.16
  • « Berlin défie la Chine en gelant l’achat d’une filiale d’Osram », Les Echos, 27.10.16
  • « China geht tief in den Westen », Handelsblatt, 04.10.16
  • « Kuka, l’OPA qui traumatise les Allemands », Les Echos, 30.09.16
  • « China geht auf Einkaufstour », Handelsblatt, 27.09.16
  • « Chinesische Unternehmenskäufe in Europa“, EY, Juli 2016
  • « Merkel und die Roboter », Handelsblatt, 15.06.16
  • « Le «Mittelstand» face à l’offensive chinoise », Le Monde, 04.06.16
  • « Berlin s’inquiète de l’offre chinoise sur l’allemand Kuka », Les Echos, 01.06.16
  • « Schutzschirm für deutsche Firmen », Handelsblatt, Juni 2016
  • « Fusions-acquisitions : la grande razzia chinoise », Le Monde, 14.05.16